Carnet de bord # 4 Le Clown du rocher

Par Catherine Lefeuvre & Jean Lambert-wild

 

La boule à charrier, ce pourquoi nous vivons

 

Le Clown du marais, premier texte du triptyque le Clown parleur, évoque d’une façon poétique les origines du clown Jean Lambert-wild et de sa langue à travers son enfance, son île et son hypersensibilité au monde.

 

Il était question de garder ce même élan pour les deux textes suivants dont le souffle est cette interrogation perpétuelle des origines et de la nature de ce clown sorti de lui. Les deux autres textes donc, le Clown du rocher et le Clown du ruisseau, restaient à écrire. Témoin de la trajectoire et des évolutions de son clown blanc né des fulgurances de ses calentures, Catherine Lefeuvre a poursuivi ce geste d ‘écriture en usant de cette position privilégiée. Le Clown du rocher a été écrit à partir du titre (le Clown du rocher) déjà là puisqu’il pré- existait dans le schéma poétique que Jean Lambert-wild avait imaginé pour ce triptyque.

Il pressentait la nécessité de parler, avec le Clown du rocher, du mythe de Sisyphe. Il fallait donc déchiffrer les canaux souterrains qui menaient de Sisyphe à son clown blanc. Le « Sisyphe » le plus proche était d’évidence le scarabée royal, plus communément appelé le bousier. Ce point de départ a permis de décrire un personnage étrange (et pour cause puisqu’il s’agissait d’un insecte) pris dans une série d’actions intrigantes qui racontent un peu de son monde et de son univers artistique, menant ainsi à l’apparition de l’artiste-bousier. Son clown blanc est un personnage très typé, avec une longue histoire, connue ou cachée. Il est autonome de tout récit. Pour le faire exister à travers le mythe de Sisyphe, il fallait donc lui trouver une identité forte, qui lui correspond sans le dévoyer. C’est ainsi qu’il s’est mué avec le Clown du rocher en  artiste- bousier.

La figure de Sisyphe, devenu par anthropomorphisme, ce bousier drolatique, rouleur de bouse, astronome émérite, travailleur obstiné et solitaire, nous renvoie par bien des aspects, et pas des moins comiques, à la condition de l’artiste. A travers la littéralité de la description d’un bousier façonnant sa boule et cheminant obstinément et quoi qu’il arrive jusqu’à son terrier, Le Clown du rocher évoque la quête de l’artiste et sa dimension absurde, insensée, mais nécessaire qu’Albert Camus a décrit à travers l’homme révolté dans le Mythe de Sisyphe. La boule à charrier de ce clown-bousier, c’est sa matière poétique à pétrir, sa mémoire d’homme, son besoin d’être au monde, le labeur de sa vie, sa quête du langage et d’un monde renouvelé, différencié.

Cette parabole sur la transformation nécessaire de l’artiste, du poète qui par sa mue nous ouvre des mondes, a aussi à voir avec le récit initiatique d’un être porté par une confiance absolue en son destin, une destinée qui lui échappe, qui s’impose à lui et grâce à laquelle il convoque ses gestes poétiques. L’artiste-bousier se transforme peu à peu en Clown du rocher, faisant de sa boule putride un solide roc qu’il porte autant qu’il est porté par elle. L‘artiste qui prend les traits et les caractéristiques du bousier nous aide à comprendre en quoi l’effort de faire et toujours recommencer, est la finalité même de l’existence. Cette boule à charrier, sortie des immondices ou d’une matière poétique, quelle qu’elle soit, porte la même nécessité : c’est ce pourquoi nous vivons.

Spectacle

Calenture N° 227 de l’Hypogée