Carnet de bord # 3 Roberto Zucco

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

 

La troupe du NTCK  (2/2)

Nous avons évoqué notre bonheur à travailler avec la troupe de la National Theater Company of Korea (NTCK). Voici une petite revue des actrices et acteurs engagés dans cette aventure.

 

Baek Seok-gwang – Roberto Zucco

Notre Roberto Zucco. Il le fallait magnétique, capable de jouer la tendresse comme la plus extrême violence, la normalité comme la folie meurtrière. Seok-gwang possède toutes ces qualités, c’est un acteur doué d’une grande intelligence, capable de saisir rapidement les enjeux de chaque scène et de conduire son personnage dans la logique d’un parcours, émotionnel et physique. Le grand défi d’interprétation est d’éviter l’écueil d’un Zucco petit voyou bêtement méchant ou tendre au grand cœur. Koltès fait de Roberto Zucco un héros, dans le sens tragique du terme : il dépasse les autres hommes. Jouer Roberto Zucco c’est se hisser dans un ailleurs, incarner une autre réalité que celle du quotidien tout en collant au vif des situations. C’est d’ailleurs le seul personnage de la pièce qui porte un nom. Effrayant, touchant, imprévisible, méchant, amoureux, violent, doux, Roberto Zucco a besoin d’un grand acteur. Seok-gwang l’est.

Kim Jung-ho – Un gardien, Le père, l’inspecteur mélancolique, l’inspecteur

Kim, Jung-ho possède des facultés d’improvisation et de clown étonnantes. Chacune de ses entrées en scène est surprenante, formidablement drôle et humaine. C’est un bonheur de que de voir se déployer sous nos yeux le métier de cet acteur, dont le talent est d’apporter à la moindre réplique une dimension qu’elle n’avait pas à la lecture. Il excelle à jouer les abrutis – et il faut bien reconnaître que dans cette pièce les forces de police sont traitées sous leur pire aspect : chacun des policiers, inspecteurs et commissaires sont successivement de mauvaise foi, méchants, bêtes ou dépressifs. L’occasion pour nous de construire des scènes véritablement comiques, en contrepoint à la tragédie qui avance.

Mun Kyung-hee – La mère de la gamine, La pute

Si la plupart des personnages masculins sont traités de façon négative, il n’en est pas de même pour les femmes, à la fois victimes de la folie de Zucco et de la folie générale de la société dans laquelle elles évoluent. Kyung-hee incarne deux personnages en crise, l’une battue par son mari et l’autre relatant dans un récit saisissant un des premiers meurtres de Zucco, à la manière du messager dans la tragédie antique. Kyung-hee est une actrice toujours sur la brèche, sachant plonger avec sincérité dans l’émotion de ces personnages sacrifiés.

Kim Jung-eun – La mère de Zucco, la patronne

La polyvalence, le talent et l’expérience de Kim Jung-eun lui permettent de presque tout jouer. Dans la scène fondatrice de la pièce, Zucco revient chez lui et tue sa mère. Il est essentiel que la mère soit totalement crédible dans sa douleur, tiraillée entre l’amour pour un fils et sa détestation de l’avoir mis au monde. Le spectateur doit être saisi par ce moment qui montre la violence de Zucco à la recherche d’un habit militaire et le sentiment de panique qui s’empare de sa mère pour aboutir finalement à son meurtre.

Dans un registre totalement différent, la Patronne de l’hôtel représente une espèce de pivot, force immobile recueillant les confessions des uns et des autres. Les personnages qui vont à elle expriment leurs angoisses, leurs terreurs et leurs folies. Douée d’une grande habileté physique, une technique de voix qui lui permet de changer totalement de caractère et animée de belles propositions de jeu, Jung-eun ne manque pas non plus d’humour.

 

Kim Jung-hwan – Le vieux monsieur, Le commissaire

Kim Jung-hwan nous avait frappé lors du casting par sa capacité à rendre la fragilité du vieux monsieur, perdu dans le labyrinthe de la station de métro. Fragilité et vieillesse pour un acteur pourtant jeune, ce sont des défis de taille que Jung-hwan parvient à relever. On le retrouve en commissaire stupide, formant un couple inénarrable avec Kim Jung-ho, inspecteur nerveux et agité.

Shin Wan-jun – Le frère

Dès la première répétition, Sim Wan-jun a trouvé son personnage. Le frère est composé d’un mélange de violence, de tendre au grand cœur, de mauvaise foi, de salop et de pauvre type pathétique. Il est toujours assez étonnant – et déstabilisant – de se retrouver face à un acteur aussi rapide, avec l’impression qu’on ne saura plus trop quoi lui dire lors des semaines de répétition précédant la première. Wan-jun toutefois, loin de se contenter du résultat accompli, continue à creuser son interprétation, avec de très belles propositions que nous avons le luxe de choisir.

Kim Su-yeon – La dame

Kim Su-yeon interprète la dame élégante, dont le destin est de croiser le meurtrier de son fils. Personnage complexe, souffrant d’un ennui profond et détestant son mari, elle devient l’otage de Zucco après que celui-ci ait tué son enfant. Elle souhaite pourtant le suivre dans sa fuite. Actrice de grande classe, Su-yeon donne à son personnage la complexité des sentiments mêlés et parvient à en montrer toutes les blessures. Elle donne à la dame une très belle dimension tragique de femme abandonnée de tous.

Hwang Sun-hwa – La gamine

On fait souvent du rôle de La gamine une petite fille effrontée, jouant sur le même mode de provocation et de naïveté d’un bout à l’autre de la pièce. Hwang Sun-hwa fait partie de ces actrices étonnantes qui parviennent à sublimer un rôle en y injectant toute leur humanité et parvenant à déployer une palette de jeu très diverse sur l’ensemble des scènes. Ainsi, la naïveté apparente de La gamine se transforme en sincérité absolue, son effronterie en besoin de se libérer du carcan familial pour rejoindre l’amour de sa vie, Roberto Zucco. Son trajet se termine au bordel, gamine vieillie avant l’âge, broyée par la machine infernale.

 

Woo Jung-won – La sœur

Très belle actrice, impeccable de justesse et de sincérité, Woo Jung-won incarne La sœur de La gamine. A la fois protectrice, frustrée par sa vie et par sa famille, étouffée mais magnifiquement rebelle dans sa scène finale, La sœur raconte le destin brisé d’une femme, écrabouillée par une société machiste parfaitement représentée par Le frère. L’actrice donne un souffle puissant à ce personnage, démontrant à quel point les rôles de femme sont parfaitement écrits par Koltès.

 

Ahn Byung-chan – Un gardien, Le balèze, L’enfant

Acteur haut en couleurs, rappeur bien connu à Séoul, Ahn Byung-chan est doté d’un naturel désarmant sur le plateau. Qu’il interprète Le balèze ou L’enfant, il réussit par sa présence simple et directe à  émouvoir ou à nous faire rire aux larmes. Son interprétation de garnement à la voix de fausset est irrésistible et son balèze au grand cœur nous fait fondre. 

Spectacle

L’histoire de Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, basée sur le parcours tristement célèbre de Roberto Succo,...