Carnet de bord # 1 UBU Cabaret

Par Jean Lambert-wild

 

La genèse de UBU Cabaret est une odyssée si longue et si improbable qu’il m’est bien difficile d’en dire toute l’originale banalité.

Longtemps, j’ai lu et relu UBU Roi. Cette pièce m’intriguait. Pour assimiler sa structure je dus, comme le dirait Alfred Jarry, me « retourner le stile en sa cervelle et y buriner l’œuvre nouvelle ». J’y revenais avec la régularité d’une montre ayant perdu son cadran.

Nous en avions longuement discuté avec Lorenzo Malaguerra, nous accordant qu’il nous faudrait être, pour cela, libres de dépasser toutes les cartographies du théâtre, d’abandonner notre compréhension des signes, de renoncer à ce que nous croyions connaître du plateau, d’être des navigateurs imprudents qui ne tiendraient leur cap qu’aux vents des étoiles et aux brises des rires et des larmes, d’être fermes du manifeste de notre Grande Entente en refusant l’idéologie, les dogmes et les grands rêves liturgiques car nous placerions la dimension artistique et la liberté au centre du plateau. C’est donc ainsi, en sachant qu’il fallait savoir ne pas savoir où nous devions nous rendre, que nous avons embarqué dans le vertige d’une sarabande des exceptions. 

N’ayant d’autres rames que mes yeux et ma ténacité imbécile à surmonter ce que je n’arrive pas à me représenter, je commençais à lire Jarry dans l’ordre du désordre. Très vite, je fus envahie par l’ivresse du langage. Je lisais en paradoxe, chaque phrase creusant un trou ou venait s’enterrer la suivante. Je me souviens d’une nuit entière à lire Messaline - Roman de l’ancienne Rome.  Aux sorties de cette nuit, j’étais épuisé et hilare. Je dis bien sorties au pluriel car il n’y a jamais une seule porte pour entrer ou sortir de l’œuvre de Jarry. L’œuvre d’Alfred Jarry nous oblige à accepter les méandres ou la vie fait labyrinthe de suggestions étranges. Je reprends ici un extrait du linteau de Les Minutes de Sable Mémorial  : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature, auxquelles faussement on a comparé l’œuvre seule de génie (toute œuvre écrite y étant semblable), la dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau.» Voilà qui m’obligea à faire l’autopsie de mon être poétique en me dépossédant des atours d’une représentation convenante. Jarry est une bicyclette de liberté dont les roues apprivoisent même la mort. Elle n’a cure des simagrées de l’époque. Pour pédaler, il faut décliner l’offre d’être contemporain pour rester libre de notre modernité. 

Alors, commença une fièvre que peu de créations m’ont jusqu’alors procurée. J’avançais en aveugle me refusant à suivre les fanaux de phares bien trop connus qui auraient pu sécuriser ma conduite. Je ne fis confiance qu’à l’imprévu que m’apportait une étrangeté sur mon chemin. Je fis des rencontres insoupçonnées où les logiques d’une création virevoltèrent jusqu’à ce qu’une évidence se dessine. Pour faire vivre l’esprit de Jarry, il fallait monter un Cabaret ! Grâce à l’intermédiaire de Gurshad Shaheman, je rencontrai Jérôme Marin (Monsieur K), Jeanne Plante, Loïc Assemat (la Big Bertha),  Sylvain Dufour (Miss Tampon) auxquels se joignirent Lorenzo Malaguerra, Vincent Desprez, Laura Bernocchi, Frédéric Giet, Laurent Nougier, Aimée Lambert-wild et le petit cheval Sunset, Maël Baudet, Catherine Lefeuvre, Bernard Amaudruz, Pierre-Yves Loup-Forest, Nicolas Martin-Prevel, Daniel Roussel, Marc Laperrouze, Gaël Lefeuvre, Tristan Jeanne-Valès. À nous tous nous pouvions faire cabaret au-delà des maux de l’époque par le pouvoir de la respiration des mots d’Alfred Jarry. 

Un cabaret c’est une famille, c’est un refuge poétique, dans lesquels on peut boire, respirer, rire, pleurer, s’aimer, chanter, tomber et s’aider à se relever. C’est surtout une forme esthétique où se brisent les individualismes sordides qui font de la scène un cloaque de bon goût. Le cabaret c’est une bulle de paix dans un monde en guerre. Alors Cornegidouille ! Vive la Merdre ! Vive la liberté ! Vive le Cabaret !

Show

Telle l’armée des Palotins, se réunissent au plateau, ou sous chapiteau, des cabarettistes, clowns, circassiens,...