Essai de chromatologie par Bernard Faivre d’Arcier

Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild ne font qu’un. La fusion de ce couple d’artistes a donné vie à un être inadapté au monde contemporain qui s’appelle Gramblanc.

Ce clown a pour clone un dodo, espèce vitale désormais disparue, oiseau de triste destinée de l’île Maurice mais aussi de l’ancienne île Bourbon dite aujourd’hui La Réunion. Ce genre-là survit sur la scène, surnage plus exactement, grâce aux mots que lui siphonne sa compagne Catherine. Elle le tient à la surface du monde par un grand remue-ménage de mots. Une prose haletante, répétée qui entend prolonger leurs rêves communs. L’auteure multiplie les tentatives désespérées pour faire tenir debout ce clown face à l’univers. Ce qui n’est pas une tâche facile car il a une propension certaine à se perdre, à se confondre dans la première immensité venue : l’air ou la mer. 

 

L’acteur, lui, s’est toujours vécu en pyjama afin de pouvoir continuer à rêver pendant le jour. Un pyjama rayé car il est mal barré. Il est en bagarre perpétuelle avec notre monde de monochromes et aspire constamment à une poésie qui mélange les couleurs.

 

Dans Coloris Vitalis, c’est un clown blanc de rage, livide de fatigue qui ne peut contenir plus longtemps la poussée de ses couleurs intérieures qui vont le faire exploser. Une mécanique est en jeu, jeu de langue, coloris gazeux, pets et gargouillis qui s’accumulent en autant de mots qui s’accrochent entre eux par leurs seules sonorités. Ces petits monticules de sons finissent par atteindre la masse critique de l’explosion. Tout cela ne peut s’achever que par un torrent débordant, une déflagration colorée. C’est le destin de sa chromo pathologie initiale car Gramblanc est né avec des chromosomes chromés. Ce même clown poétique, désespéré mais courageux lorsqu’il est à la mer, est un pompon de marin ballotté en tous sens, un nez rouge de clown dérivant dans l’océan qui n’a plus qu’un désir : faire pipi dans le Pacifique et retrouver le dodo de son enfance.

 

 Il faut être un grand artiste pour réussir à  donner vie à de tels textes même si ceux-ci transpirent la complicité artistique qui lie ces deux âmes Jean et Catherine à la scène comme dans la vie. C’est tout l’art du théâtre que de donner aux mots la force des images. Le texte donne l’impulsion, la scène la concrétisation de l’imagination. Jean Lambert-wild est l’acteur transfigurant. Tout est mis à contribution : le geste, la voix, le maquillage, le costume, les accessoires, la lumière, le rythme, le jeu avec le public. C’est le théâtre en ce cas qui donne aux mots leur folie, leur grandeur, leur dépassement poétique. Cette alchimie-là est très rare. Texte assurément, photos bien heureusement, vidéo pourquoi pas, mais que tout cela conduise le lecteur à la représentation sur scène, c’est mon plus cher souhait de spectateur heureux et fasciné.