J’espère que la sortie sera joyeuse… - Texte de Lorenzo Malaguerra

« J’espère que la sortie sera joyeuse et j’espère surtout ne jamais revenir. » 

(les derniers mots écrits par Frida Kahlo dans 

 

Il existe depuis plusieurs années en Europe une déferlante Frida Kahlo. Elle se décline en objets divers, en sacs, en oreillers, en rideaux de douche et même, véridique, en godemichés. Il est difficile de savoir pourquoi l’iconographie attachée à la figure de Frida Kahlo est aussi prégnante dans toute cette déclinaison d’ustensiles quotidiens car sa peinture n’est pas joyeuse. Au contraire, elle est bien souvent cruelle, sanguinolente et l’exact reflet de la douleur physique de l’artiste.

Sur les scènes de théâtre, Frida Kahlo n’est pas en reste. En Suisse cette saison, on ne dénombre pas moins de trois productions différentes sur la célèbre peintre mexicaine. Hasard du calendrier, sans doute un peu, mais vraie tendance de fond certainement aussi. Cette création de la Compagnie de l’Ovale – Frida Jambe de bois, référence à une poliomyélite d’enfance qui se noie dans la longue liste des accidents et maladies dont Frida Kahlo a été victime – clôt une trilogie de spectacles sur les grandes figures de femmes : Corinna Bille, Lou Andreas Salomé et Frida Kahlo.

Pour définir le spectacle, le metteur en scène Lorenzo Malaguerra parle d’une « farce joyeuse autour de la mort ». L’angle d’attaque choisi est celui de se confronter très directement à une thématique souvent omise dans les autres spectacles ou alors traitée de façon misérabiliste : la relation quotidienne et intime de Frida Kahlo avec la mort, la Pute chauve comme l’appelait Frida. La Mort est bien présente sur scène, on la reconnaît immédiatement avec le masque que revêt le clown Jean Lambert-wild. Elle est surtout caractérisée par ce qui la définit le mieux, sa capacité à frapper où et quand elle le veut. En d’autres termes, La Mort est libre de dire et de faire ce qu’elle veut, ce qui est un fantastique moteur de jeu et de drôlerie.

Autour d’elle, cinq Frida Kahlo - Maria de la Paz, Edmée Fleury, Denis Alber, Pascal Rinaldi et Thierry Romanens - chacune différente mais dont l’ensemble compose un portrait assez complet de l’artiste, dans sa dimension excessive, très érotisée pour ne pas dire érotomane, communiste par occasion mais bien trop libre pour y croire totalement, amoureuse folle de Diego Rivera mais dont la vie est ponctuée de passions sincères et de tromperies douloureuses. une Frida multiple dont les maux physiques sont tels qu’elle ne peut les soigner qu’à la morphine et à de hautes doses d’alcool.

On peine à se représenter la vie de Frida Kahlo qui, loin du portrait souvent idéal et un peu éthéré qui en est fait, devait ressembler à un mélange de grande marginalité, d’excès en tous genres mais également d’une importante dimension mondaine qui a renforcé la notoriété de l’artiste.

Sous la plume de Pascal Rinaldi sont nées les chansons qui ponctuent le spectacle. L’écriture des textes s’est faite ensuite à plusieurs mains car il s’est avéré que cette énorme matière biographique avait besoin du concret du plateau pour prendre définitivement forme. Le défi était d’imaginer la façon dont pouvaient dialoguer cinq Frida avec une Mort qui, bien que très concrète, n’en reste pas moins une figure symbolique. A l’heure d’écrire ces lignes, il semble que ce défi soit relevé.