Un an après la création du Clown des Marais, Jean Lambert-wild revient à Singapour où, avec Marc Goldberg, ils vont présenter leur karaoké poétique dans le cadre du Festival Voilah !, et travailler au second volet de la Trilogie du Clown parleur : Le Clown du Ruisseau. Sans doute inspirés par l'ouverture d'esprit que suscite et impose une résidence de création, ils décident d'emprunter un chemin de traverse, et conçoivent une Calenture d'autant plus réjouissante qu'elle n'était pas « prévue au programme », précisément sur le thème du vagabondage…
Son objet est d'expérimenter les conséquences, dans l'espace public, de cet état d'ouverture et de décalagepropre à la création, en imaginant un dispositif où la performance ne sera pas réglée au cordeau mais improvisée au fil de l'eau, où le public ne sera pasconvié mais croisé au hasard des chemins, où la poésie surgira (ou pas) de l'instant, des lieux, des rencontres.
Concrètement, il s'agit de provoquer des décalages, des court-circuits, et de les saisir par la photographie. Accompagné d'un jeune photographe singapourien, Matthew Ng, Gramblanc (le clown blanc de Jean Lambert-wild, dont Le Clown des Marais avait évoqué la naissance) et Hatoff (le Monsieur Loyal de Marc Goldberg, dont les traits s'étaient dessinés pendant la création du même spectacle) entreprennent donc d'arpenter l'île de Singapour, aussi bien ses quartiers modernes que ses lieux traditionnels ou ses îlots de nature préservés çà et là.
Comme on pouvait s'y attendre, leur simple présence détonne avec l'environnement et dérègle la mécanique d'une Cité-Etat bâtie (depuis sa fondation par Sir Stamford Raffles) sur des idéaux d'efficacité, de fonctionnalité, de productivité.
Que font là ces deux créatures qui ne font rien d'autre qu'être là ? Qui n'ont rien à vendre, rien à promouvoir, pas d'autre souhait que vagabonder dans les rues, sur les sentiers, dans les forêts…
La présence de ces deux compères interpellent. On leur parle, on leur offre à boire, à manger, tandis qu'eux s'amusent, courent, sautent, bavardent et poursuivent leur errance joyeuse. Chacun se trouve ramené à sa plus simple humanité, les passants comme les deux personnages. On trinque, on rit, on passe un court moment ensemble, on se sépare sans manières, et si la vie matérielle semble reprendre implacable dans le sillage de Gramblanc et Hatoff, une photo a saisi ce moment de poésie impromptue.
Sous la forme d'une exposition, accompagnée de courts écrits de Catherine Lefeuvre, Jean Lambert-wild et Marc Goldberg sur le thème du vagabondage, ces photographies font retour vers le public, pour devenir invitation à subvertir le réel par l'insouciance, à dénicher la poésie par le jeu, à explorer joyeusement les chemins de traverse.