Carnet de bord # 1 En attendant Godot

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

En attendant Godot résonne aujourd'hui avec une forme d'évidence. En ces temps de flux migratoires, où des populations entières cherchent à échapper aux guerres fratricides, aux famines, à la pauvreté, à l'absence concrète d'une possibilité d'avenir, ce sont des hommes et des femmes qui accomplissent le chemin mouvementé de l'exil.

Il en est aussi qui, lors du trajet, s'empêtrent dans des lieux sans identité, pour toute une série de raisons : attente du passeur, attente d'un visa, attente d'un renvoi, attente d'une sœur ou d'un fils. Ces situations où le but recherché s'efface devant la nécessité de rester là nous ramènent au cœur d'En attendant Godot. Vladimir et Estragon pourraient être ces migrants, collés à une route et sous un arbre, dans l'attente de quelque chose ou de quelqu'un qui leur est indispensable pour aller ailleurs, vers la vie rêvée. Des êtres qui, pour rendre supportable l'insupportable, s'inventent des jeux, des dialogues, des compères, des lunes, des nuits et des jours.

Ainsi, nous avons nous aussi expérimenté durant plusieurs mois l’attente d’un visa pour Michel Bohiri, l’acteur ivoirien jouant Vladimir, obtenu finalement de haute lutte et en haut lieu. L’estime portée à cet homme par l’administration consulaire aurait été vécue comme un fait inacceptable par n’importe lequel d’entre nous. Et pourtant, une telle attente semble être monnaie courante pour nombre de femmes et d’hommes africains.    

Nous avons connu le scrutin suisse dont le texte de l’initiative prévoit de contingenter non seulement les travailleurs étrangers mais aussi les réfugiés, les familles et toutes les personnes qui, pour une raison ou une autre, souhaitent migrer dans ce pays. Nous connaissions la Suisse comme un pays riche, préservé de la crise par l’intelligence de sa gestion, la créativité de ses entrepreneurs et la richesse de ses banques mais voilà ce pays transformé en terrain d’expérience où se seraient alliés Beckett et Kafka pour créer une machine bureaucratique infernale. Un des plus célèbres auteurs helvétiques, Friedrich Dürrenmatt, n’a-t-il pas dit d’ailleurs dans un discours adressé à Vaclav Havel que les Suisses étaient à la fois les prisonniers et les gardiens de leur prison ?  

D’ailleurs, n’est-ce pas une magnifique définition qui caractérise la situation de Vladimir et Estragon, sautillant d’une jambe sur l’autre et ne pouvant ni rester là ni partir ? Vladimir et Estragon, clowns malgré eux, prisonniers de l’attente mais gardiens de l’insupportable attente devenue également leur seul espoir. Tel est le monde dans lequel nous vivons, tel est le défi lancé à notre scène.

EN ATTENDANT GODOT - Carnet de bord # 1

François Royet

Spectacle

En attendant Godot résonne aujourd'hui avec une forme d'évidence. En ces temps de flux migratoires, où des...