Carnet de bord # 10 Dom Juan ou Le Festin de pierre

Par Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra & Marc Goldberg

 

A peine posés les premiers fondements du spectacle, nous sentons que la musique devra y jouer un rôle primordial, en contre-point de l'atmosphère étouffante que la maladie de Dom Juan, la moiteur tropicale et l'unité de lieu pourraient faire peser sur ce qui doit rester une comédie. L'idée d'un « orchestre de Dom Juan » fait donc vite son chemin. Denis Albert, Pascal Rinaldi et Romaine rejoignent ainsi l'équipe dès les premières répétitions, en plus du collaborateur de toujours qu'est Jean-Luc Therminarias, en charge de l'univers sonore.

Ce petit orchestre soulève deux questions qui vont nous préoccuper tout au long du processus de création collective que sont les répétitions : comment s'intégrera-t-il à l'action dramatique, comment s'articulera-t-il avec le travail de Jean-Luc Therminarias ?

Nous savons qu'il faudra être patients, inventifs et attentifs pour favoriser cette double greffe.

Le talent des trois musiciens est évident, et leurs chansons ou leurs accompagnements pertinents, mais de fait, pendant les premières sessions de répétition, ils sont comme doublement « à côté ». En marge de l'action dramatique du Dom Juande Molière, puisqu'ils ne l'influencent pas, au risque d'être cantonnés au rôle de simples musiciens d'ambiance engagés par le maître de maison pour le divertir par moment. Sans lien non plus avec les paysages sonores que Jean-Luc Therminarias élabore peu à peu, comme à son habitude, en harmonie avec la scénographie et l'ambiance générale du spectacle.

Les musiciens s'interrogent : doivent-ils réagir à l'action ou attendre impassiblement que Dom Juan les invite à jouer ? Jean-Luc Therminarias s'inquiète : comment intégrer cet orchestre à l'univers sonore qu'il est en train de ciseler ?

La première percée aura lieu au plateau. A la question des musiciens, la réponse est claire : ils ne doivent pas rester dans leur coin et jouer de la musique, mais intégrer pleinement le palais de Dom Juan et l'action dramatique.

A cet égard, une étape importante sera leur entrée. Ils ne font pas partie des meubles, ils ne seront pas de simples « musiciens de plateau » mais bien des personnages : l'action commence sans eux et si Dom Juan les a engagés, c'est Sganarelle qui les accueille avec joie. Ils s'installent, découvrent le palais, puis les étranges personnages qui s'y succèdent et les mystères qui vont s'y jouer... On comprend vite que, malgré le cachet qui leur a été promis, ils préféreraient ne pas être venus ! Les voici contraints d'assister et d'accompagner les excentricités du seigneur des lieux...

Au fond, ils reprennent et développent sous forme d'un petit orchestre d'apparat, la cohorte de domestiques (Ragotin, La Violette, plus anonymement « la Suite ») qui entoure Dom Juan et Sganarelle chez Molière, témoins et participants involontaires d'un drame qui les dépasse totalement. Leurs costumes iront dans ce sens et les aideront à creuser ce sillon.

Une fois libérés de leur carcan d'instrumentistes chanteurs, nos musiciens commencent à intégrer l'action. Un décalage passionnant se met alors progressivement en œuvre. L'orchestre « de Dom Juan » noue une relation de plus en plus intense avec Sganarelle. Moins efficace que les belles pour alléger l'âme du maître, il est une véritable bouffée d'oxygène pour son valet. Et nous comprenons peu à peu que Steve Tientcheu trouve en lui un appui de jeu salutaire pour rééquilibrer ce que le face à face de Gramblanc avec la Mort apporte de tragique.

Les musiciens viennent en fait résoudre une équation circassienne classique. Si Sganarelle a bien la fonction d'un Auguste face au clown blanc qui joue Dom Juan, l'orchestre devient ce partenaire décalé et complémentaire dont il fait son miel et qui correspond exactement au rôle du contre-pitre. Absent chez Molière, ce personnage était nécessaire à notre spectacle : nous en prenons conscience au cours des répétitions, en le voyant s'incarner sous la forme d'un orchestre composé de trois musiciens drôlatiques...

Tandis que Lorenzo Malguerra encourage et orchestre la rencontre entre acteurs et musiciens, Jean-Luc Therminarias s'emploie à concevoir une ambiance sonore organique.

Comme à son habitude, il utilisera pour Dom Juandes nappes sonores qui amplifient les enjeux dramatiques et scénographiques du spectacle. Des bruits mystérieux (oiseaux, mammifères ?) renforcent l'atmosphère tropicale qui se dégage du décor, de mystérieux rugissements évoquent nettement la mort qui rôde, préfigurations phoniques de la statue de pierre.

Il entreprend également d'implanter un champ de micros sur le plateau, afin de recueillir, de transformer et de diffuser en direct des sons captés dans le vif de l'action. Une théâtralité inquiétante en résulte, comme si dans ce palais chaque chose était amplifiée, démultipliée, portée à incandescence. Une forme d'irisation baroque de l'univers sonore qui correspond aux contrastes puissants de matières et de couleurs dans la scénographie (Jean Lambert-wild et Stéphane Blanquet) ainsi que dans les lumières (Renaud Lagier).

Jean-Luc Therminarias apporte enfin lui-même la réponse aux questions qu'il posait sur la cohérence de l'univers sonore, en élaborant de nouveaux arrangements avec les musiciens, en modifiant la diffusion de leurs morceaux, de façon à intégrer l'orchestre dans un continuum où instruments et voix résonnent avec les mots de Molière, les bruits recueillis au plateau et les sons concoctés pour le spectacle. Un dispositif multidimensionnel s'échafaude ainsi sous nos yeux, grâce auquel Jean-Luc Therminarias pourra comme à son habitude intervenir en direct pendant les représentations, pour en augmenter l'intensité.

 

 

Carnet de bord #10 > Dom Juan ou Le Festin de pierre > Marine Godon, comédienne de la Séquence 9 de L'Académie de l'Union

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