Carnet de bord # 16 Richard III – Loyaulté me lie

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

Spectres et fantômes (1/3)

« L’enfer est vide, tous les démons sont ici »

La Tempête, William Shakespeare

 

A l’époque de Shakespeare, les spectres, les démons et les esprits font partie des débats au plus haut niveau de la société. Jacques Ier, le successeur de la Reine Elisabeth, s’était ainsi fait l’auteur d’un traité de démonologie juste après l’écriture d’Hamlet. La question n’était alors pas de savoir si ces êtres existaient ou pas mais de bien définir leurs natures diverses et forcément mouvantes. Comment les reconnaître ? Comment les distinguer les uns des autres ? Un spectre est-il toujours un démon ou est-il l’incarnation d’une âme perdue en plein purgatoire ? Selon que l’on fût catholique ou protestant, les réponses à ces questions changeaient du tout au tout. 

On comprend alors aisément que Shakespeare, en prise totale avec son époque, n’était pas étranger à la problématique. En intégrant des spectres dans un grand nombre de ses pièces, il ne devait pas surprendre le spectateur, l’épouvanter par contre, certainement, puisqu’il y croyait. Cette effrayante normalité du spectre enrichit de façon spectaculaire le lien entre le monde des vivants et celui des morts en y introduisant un univers intermédiaire, celui des « ni vivants ni morts » mais pourtant bien présents. Au fond chez Shakespeare, tuer ne suffit pas, encore faudrait-il se débarrasser des âmes, chose évidemment impossible, même pour les plus vils et les plus retors de ses personnages. Richard III en sait quelque chose, lui qui subit une nuit de terreur en compagnie de toutes ses victimes avant de succomber à son tour sur le champ de bataille. 

Une des caractéristiques intéressantes de la présence des spectres dans l’écriture de Shakespeare réside dans le fait qu’ils apparaissent à chaque fois lors d’époques troublées, des périodes de changement profond ou alors quand un personnage acculé par le poids des événements manque de glisser vers la folie. Il n’y a pas de spectres heureux ni de fantômes de pacotille. Leur apparition est toujours dramatique – voire fatale – pour le personnage qui a le malheur de les rencontrer. L’exemple le plus célèbre est sans conteste Hamlet, pour qui l’apparition du fantôme de son père se transforme en  une impossibilité mortelle à obéir à ses injonctions.

Tout comme sont entrelacés la comédie et la tragédie, le dialogue et le monologue, le brut et le sacré, la violence et la douceur, les morts et les vivants cohabitent dans le théâtre de Shakespeare. Plus que cela même : ils existent au même degré de réalité, créant ainsi une étrangeté, un inquiétant mystère dont seul l’art du théâtre est capable de rendre compte.

Spectacle

Un clown, alité, face à son propre reflet, face à un double féminin qui se métamorphose, lui renvoyant l’image de...