Carnet de bord # 3 Un clown à la mer

Par Jean Lambert-wild

 

Chaque représentation de Un clown à la mer est sans pareille. Je joue la même entrée clownesque qui pourtant n’est jamais la même. J’ai bien-sûr, en entrant, comme l’écrit si bien Catherine Lefeuvre, « Une route à suivre, un horizon à conquérir ». Mais il ne faut pas se méprendre : La trame ne suffit pas à l’étoffe ! Car jouer dans une classe est une exigence artistique supérieure. Il faut une agilité, une attention et une concentration particulière. J’adore cela. J’aimerais, si cela était possible, passer d’une classe à une autre dans un long marathon d’une journée et ne pas m’arrêter avant la dernière sonnerie annonçant la fin des cours. C’est que, sachez-le, j’apprends, sans subterfuge et illusion, comment, à chaque représentation, améliorer tel geste, tel réplique, telle répartie, tel silence, tel aparté, tel nature de mon clown blanc.

Il y a dans l’énergie de chaque classe, dans le regard de chaque élève, dans l’écoute obéissante ou désobéissante de deux camarades qui partagent la même table, tout l’enjeu rassemblé du théâtre auquel je dois me distribuer entièrement. A savoir : Puis-je, modestement, comme interprète étranger de vos vies, vous permettre un instant d’être totalement vous-même et dans le même instant d’échapper totalement à vous-même ?  

Cet enjeu n’est possible qu’à une seule condition impérative. Je dois, sans aucune hésitation, sans aucun filtre, sans aucune inquiétude être moi-même au-delà de moi-même. Je dois débarquer dans cette classe comme si je jaillissais dans la vie. Cette vie, surgissant comme un feu follet vacillant, peut-être alors éclairer la vôtre pour en dévoiler toutes les nuances beautés avant de s’éteindre en vous saluant.

L’on pourrait penser qu’il en va de même lorsqu’on joue sur une scène, mais c’est oublier que l’arène fait le gladiateur. L’expérience de jouer dans des classes démontre que la magie d’une représentation se joue dans les brefs instants d’une communion laïque qui, de un à un, s’adresse à tous. Ce n’est plus « du spectacle vivant » mais « du vivant spectacle vivant ».

Chaque classe est une cour d’honneur plus vaste que celle du palais des papes d’Avignon. On y apprend hardiment son métier que l’on croyait pourtant si bien maitriser. 

Je repense aux représentations extraordinaires qui eurent lieu au collège Saint-Exupéry à Vannes. Je revois ce jeune garçon qui s’improvisa petit mousse et m’offrit un bonheur inouï avec sa si grande joie. Je revois cette jeune fille qui se leva d’un bond pour imiter une mouette criarde. Je revois l’œil pétillant d’un autre qui timidement se cachait derrière sa table, puis d’une autre qui me renvoyait la balle réplique après réplique, m’autorisant des improvisations de plus en plus folles. 

Il me faut remercier chaque élève, chaque enseignant et enseignante, sans oublier mes complices des Scènes du Golfe : Alice, Marine, Chloé, Alice, Marion, Olivier, Ghislaine… car tous vous m’avez permis de retrouver le plaisir de revenir à l’école pour m’y apprendre et me reprendre avec une fièvre d’assoiffé. Car j’ai soif, une soif sans nom que les étangs noirs d’une scène ne peuvent calmer. A moi, il me faut aussi l’océan infini de la vie.

Il y a cette phrase encore dans le texte de Catherine Lefeuvre empruntée à Bernard Moitessier. « Comment vous dire, la joie d’être en mer… Il n’y a pas de mot pour cela. » Je peux dire moi « Comment vous dire, la joie d’être là… il n’y a pas de mot pour cela. »

Spectacle

Calenture n° 55 de l'Hypogée- Pour clown blanc, grand col bleu, pompon rouge et rêve de longue route