Carnet de bord # 3 Yotaro au pays des Yôkais

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra 

 

 

Existe-t-il une manière particulière de travailler avec une troupe d’acteurs ? En France, en Belgique, en Suisse romande et de façon générale dans l’ensemble de la francophonie, les projets se construisent avec des équipes formées pour chaque nouveau projet. On ne va pas s’étendre ici sur les raisons historiques du phénomène mais plutôt sur les avantages du travail de troupe – en particulier avec la troupe du SPAC.

A noter tout d’abord qu’aucune troupe n’est pareille à une autre et que la qualité du collectif repose sur les qualités individuelles des acteurs, qualités techniques bien sûr mais humaines aussi, tant le fait de travailler au quotidien sur un plateau nécessite des personnes capables de faire passer les intérêts du groupe avant les leurs.

 

Une troupe offre l’évident mais immense avantage de se connaître, ce qui permet un gain de temps très appréciable au début des répétitions. Au SPAC, certains acteurs travaillent ensemble depuis 20 ans, ils ont traversé les mêmes succès et les même épreuves. Sous la houlette de Satoshi Miyagi, ils ont connu les plus grands plateaux à travers le monde. Le SPAC a également invité plusieurs metteurs en scène internationaux ce qui a permis à la troupe de se confronter à différentes méthodes de travail.

 

Le but d’une troupe est de jouer. Economiquement, il est essentiel pour une institution, qui emploie une troupe, de maximiser le nombre de représentations et de constituer un répertoire. Dans le système francophone, les acteurs passent beaucoup de temps à répéter, moins à jouer, ceci étant lié au caractère ponctuel de chaque production et au fait qu’il est impossible de créer un répertoire avec des équipes qui passent d’un projet à l’autre. C’est pourquoi nous cherchons absolument à ce que chaque production tourne le plus possible afin de favoriser la qualité du spectacles mais aussi son économie. Car pour un acteur, jouer beaucoup permet en général de devenir meilleur et, bien sûr, de vivre de son métier. Nous avons rencontré au SPAC de fabuleux acteurs, très physiques, capables de réagir à toutes les impulsions de jeu, qui proposent, jouent juste et s’amusent en toutes circonstances. Le travail du metteur en scène s’apparente alors davantage à celui du chef d’orchestre qui a devant lui un instrument sensible et non, ce qui peut arriver parfois, une juxtaposition d’individualités.

Parmi les moments qui ont marqué cette production, nous en citerons deux particulièrement forts. Tout d’abord, une scène improvisée de très vieilles dames au karaoké. Cette improvisation, qui donne lieu à une scène de cinq minutes aujourd’hui, a duré près d’une demi-heure. Entre attaque d’apoplexie, déficit respiratoire, voix chevrotante s’essayant au métal, mélodie sirupeuse tirant les larmes, hommes travestis, la panoplie d’inventions fut un bonheur de théâtre. De façon étonnante, la fraîcheur de l’improvisation ne s’est jamais perdue au fil des répétitions et c’est là sans doute aussi une des grandes qualités de la troupe du SPAC, celle d’être toujours dans la découverte de ce qu’elle joue. La seconde expérience se renouvelle au fil des répétitions, elle consiste à demander aux acteurs d’extrémiser leur engagement : « essayez de rendre ce personnage plus méchant, plus joyeux, plus grotesque, rendez la situation plus dramatique, partez ensemble dans une fête débridée, etc. » Et notre admiration est de voir que la troupe est capable de répondre à l’unisson à ces indications en repoussant toujours plus loin ses limites.

Nous avons conçu ce spectacle comme une fête de l’imaginaire remplie de fantômes, de soldats, de kapas, d’esprits, de yokais, d’animaux fantastiques. Cette célébration d’un théâtre joyeux et débridé n’a pu se faire qu’avec des acteurs non seulement capables de générosité et de technique mais aussi profondément habités d’un esprit de liberté et de transgression qui sont pour nous les éléments essentiels de notre façon de faire du théâtre.

 

 

Spectacle

Yotaro vient de mourir. Il était gentil Yotaro, toujours prêt à rendre service. Certains lui trouvaient même un petit...