Carnet de bord # 5 Dom Juan ou Le Festin de pierre

Par Yannick Cotten

 

Le travail sur la création du Festin de pierre a été la chance, pour nous, les élèves de la Séquence 9 de l'Académie de l'Union, d'une découverte singulière et très formatrice de la création théâtrale.

En premier lieu, l'opportunité, tout au long de l'école, d'être confrontés à un rythme de travail similaire à celui du métier pour lequel nous nous préparons. En effet, les répétitions ont démarré dès le courant de la première année, et nous ont suivis tout le long de notre cursus. Cette création a donc généré en nous une conscience de la sortie d'école, a donné un objectif à notre enseignement, une expérimentation réelle et immédiate de ce pour quoi nous sommes formés. Les rencontres avec des artistes de métier, que cette mise en scène a permises, induisent inévitablement tout au long des répétitions une notion de compagnonnage : une découverte de tous les instants, sous l’oeil bienveillant de personnes plus expérimentées, des enjeux de la professionnalisation artistique ; contrairement à l'enseignement à l'école, très protecteur et éloigné des contraintes du métier, pour permettre l'éclosion de la singularité des artistes de demain.

Tout cela n'a pas été facile, les exigences de comédiens et de metteurs en scène chevronnés étant parfois en conflit avec nos visions et nos habitudes de jeunes artistes en herbe. Il a fallu apprendre, à chaque instant, de quelle façon il était possible d'utiliser à bon escient les divers outils de travail appris durant le cursus à l'école, tout en étant libre et disponible aux attentes que ce spectacle exige. Le comédien, dans cette création, doit être prêt !

Cela s'est bien entendu fait progressivement tout au long de la création, au gré de notre avancée vers la sortie de l'école. Il y a eu en premier lieu le travail à la table, la découverte tous ensemble des premiers montages du texte, de la singularité de la vision du mythe de Don Juan, l'immersion progressive dans les coulisses d'une mise en scène d'envergure. Par la suite, il y a eu encore une prise en charge de la préparation au jeu, grâce à l'un de nos pédagogues Jerzy Klezyk, lors d'une session de répétitions. Mais au fur et à mesure de la création, les notions d'école et de pédagogie ont commencé à disparaître pour laisser la place aux enjeux de mise en scène, à ce qu'on est en droit d'attendre d'un comédien professionnel conscient de son travail.

Un autre point non négligeable : la découverte du texte de Molière, matériau complexe qui nous a permis un abord du travail incomparable à ce que nous avions pu explorer à l'école. Chaque texte est toujours une découverte, un puits d'enseignement qui va nous transformer et avec lequel il va falloir composer pour l’interpréter. Molière n'était pas un auteur que nous avions étudié auparavant à l'Académie de l'Union.

La richesse du texte de Molière, couplé aux choix de distribution de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra, a fait l'objet d'un travail de longue haleine, d'une exploration de tous les instants, à coup de propositions, acceptées ou refusées, tolérées un temps pour être souvent abandonnées par la suite... Une remise en cause perpétuelle, pour s'approcher progressivement mais sûrement de notre point de vue commun : la confrontation de Dom Juan avec la mort. Les hommes de la Séquence 9 sont distribués sur les rôles de Don Louis et du Pauvre, alors que les femmes sont distribuées sur les rôles de Done Elvire et de Charlotte, la paysanne séduite par Don Juan. Je donne ici un détail du travail sur les rôles d'hommes, la distribution pour les femmes faisant l'objet d'un prochain carnet de bord.

Le rôle de Don Louis tout d'abord, pour lequel se trouve la difficulté d'interpréter le père de Dom Juan alors que nous sommes dans une tranche d'âge entre 20 et 27 ans. L'exploration a été longue et ardue, il a fallu chercher ensemble une solution scénique au problème de base de l'âge. Il y a eu de longues sessions de répétitions uniquement centrées sur le jeu, sur la difficulté de trouver en nous la « fibre paternelle ». Nous ne nous sommes rien refusé, que ce soit l'aspect purement réaliste (l'éveil d'une sorte de charisme qu'un père seul peut avoir avec son fils), ou des idées bien plus fantaisistes, basées sur les enjeux de la scène, où le personnage semble épuisé par ses nerfs, totalement à bout face aux dérives de son fils. En cela, le point de vue fantasmagorique de la mise en scène nous a pleinement aidés, grâce notamment au jour où a été trouvée l'idée de maquiller Don Louis à l'image de son fils : en blanc. Cette nouvelle proposition, gardée depuis, permet une filiation immédiate avec Don Juan, et une facilité de jeu certaine pour les comédiens qui l'interprètent car, âge mis à part, les enjeux du personnage dans cette scène peuvent être communs aussi bien à un être jeune qu'à une personne plus âgée.

Le rôle du Pauvre nous a donné d'autres difficultés, complètement différentes. Au début, jouer cette scène de façon simple nous semblait risqué, il fallait trouver un point de vue radical pour mettre en avant la place à part que tient cette scène dans le spectacle. Nous avons alors rapidement fait le choix de l'aborder sous l'angle du clown, pour représenter l'aspect à part de ce personnage dans l'intrigue, sa situation indéniablement en marge de toute société, et le fait que le pauvre soit un clown nous permettait de faire une nouvelle filiation avec Dom Juan, pas de sang, comme nous avions pu la chercher avec Don Louis, mais de philosophie, de choix de vie. Cela peux sembler paradoxal, alors que Don Juan n'a que mépris pour les personnes croyantes, mais le Pauvre est le seul qui attire sur lui le respect du séducteur, car il a en commun avec ce dernier le choix de la liberté. Don Juan voit alors que cet homme n'est pas aux prises avec les turpitudes que la société des hommes crée en chaque être, et contre lesquelles il se bat sans cesse. Peut-être voit-il en lui un autre chevalier, de la foi celui-ci, mais un chevalier tout de même. Après avoir gardé cette idée du clown pendant de nombreuses répétitions, il nous a semblé plus judicieux de revenir aux bases de la scène, à sa simplicité presque confondante. Nous nous sommes alors aperçus que, de l'exploration clownesque qui nous avait précédés, le passage du mendiant prenait une autre dimension. Il n'avait plus besoin d'effets de manche, d'idées originales de mise en scène pour être tenu. Le travail du comédien seul, avec son texte et la singularité de celui-ci, avec son intention, fine mais tout de même en pleine marge de tout ce qui l'entoure, nous a permis de trouver simplement le caractère exceptionnel du pauvre, celui qui refuse l'argent pour ne pas livrer à la damnation Don Juan.

 

 

Carnet de bord #5 > Dom Juan ou Le Festin de pierre > Estelle Delville, comédienne de la Séquence 9 de L'Académie de l'Union

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