Carnet de bord # 6 Richard III – Loyaulté me lie

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

Le théâtre est une solitude en partage. C'est un art où une communauté d’acteurs fait le pari de rencontrer une communauté de spectateurs. C’est un pari où l’impossible est une fantaisie aguicheuse.

Lorsque nous avons posé les premiers jalons de la création de Richard III – Loyaulté me lie en 2012, l’alignement de nos volontés n’avait aucune connaissance des distances à parcourir et des limites à découvrir.  

Nous étions tout d’abord heureux de nous retrouver à nouveau, joyeux des nouvelles explorations à conduire avec leurs lots de bonnes et de mauvaises surprises plus ou moins propices à l’interprétation de l’œuvre. Notre bonne fortune était guidée par le plaisir de travailler ensemble à la tache d’un éphémère inconnu.

Puis, nous avons commencé à faire, à défaire, à modifier, ici une matière, là une couleur, à refaire, à redéfaire, à fixer, puis modifier,  puis remodifier encore et encore et encore… jusqu’à haïr le son de cet adverbe.

Rire et s’énerver des couacs, des buzzs, des heures de calcul des ordinateurs, d’une lampe qui grille par-ci, d’une soudure à renforcer par là, d’un accessoire qui craque, d’un jeu d'orgue qui plante, d’une voix qui s’éraille, d’un muscle qui lâche... et toujours recommencer parce que nous sommes insatisfaits, parce que nous sommes imprécis. Alors répéter le geste, l’harmonie d’un moment, alors d’un commun accord affronter le péril du doute, s’échiner inutilement à modeler le chaos, parler des heures pour se convaincre de faire confiance à l’improbable.

Il faut énormément de temps et de patience pour un résultat souvent très éphémère.

C’est un art du regard bien délicat que d’accepter d’être aveugle pour s’espérer clairvoyant. Il y a des heures où tout semble lointain, compliqué et affreux et d’autres ou tout semble si proche, simple et beau. Il faut laisser beaucoup de place au chaos pour espérer y trouver une lumière.

Pour avancer sans crainte des lassitudes, nous devons épier cette joie que l’on voit furtivement dans le regard de l’autre, la sauver puis l’additionner à la joie d’un autre regard. Et ainsi de suite jusqu’à ce que cette addition fasse une somme dont le résultat nous convainc alors d’exposer notre solitude à l’incertitude d’une solitude plus vaste, faite de tous nos regards assemblés.

La solitude n'est sans doute pas la route de la vérité, mais c'est un pays de doute fait de paysages vacillants, de cieux irréguliers, de jours d’embarras, de nuits de défiance. C’est ce pays qu’il faut habiter pour arriver peu à peu à rencontrer la mesure d’une promesse au dehors de nous.

Le théâtre est sûrement le véhicule le plus adapté à ce genre de voyages. Cela demande une persévérance et un état de recherche permanent, et c'est seulement lorsque nous sommes détachés de nos convictions superficielles qu’est rendu possible  le surgissement de nos émotions les plus profondes. 

Car tous, techniciens et artistes, nous sommes les acteurs de ce Richard III, liés d’une promesse de « loyaulté » de faire de nos solitudes une émotion joyeuse à partager avec des spectateurs.

Richard III - Loyaulté me lie - Carnet de bord #3

François Royet

Spectacle

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