Impressions et cadence – Texte de Jean Lambert-wild

Première Epoque

"Splendeur et Lassitude du Capitaine Marion Déperrier"

Je crois qu'il existe des hommes remués, secoués de tremblements.

Je crois que leur corps s'emmaillote dans la contemplation de leurs excès.

Je crois que leur parole se déverse sans jamais rencontrer de résistance.

Je crois que rien ne peut les arrêter.

Je crois qu'ils vivent et meurent d'une suite d'inondations.

Je crois qu'ils sont Furieux, et que la fureur est pour eux une forme poétique providentielle.

Je crois à l'insatiable fureur de leur Splendeur et de leur Lassitude.

Je crois que personne n'est dupe du danger incroyable de ces deux mots.

Je crois qu'il faut être attentif au lien étroit qui unit fureur et sauvagerie.

Je crois que ces hommes sont d'authentiques héros tragiques, car trop attentifs à nouer avec le destin des liens privilégiés et exemplaires.

Je crois qu'il n'y a rien ici que l'on puisse rattacher aux "nerfs".

Je crois que toute tentative d'analyse psychiatrique est congédiée irrémédiablement.

Je crois que les détrousseurs n'auront rien à se mettre sous la dent; car tout ce qui touche le corps le dépasse simultanément.

Je crois que ces hommes vivent dans des champs de bataille où l'ennemi n'existe que parce qu'il se dérobe, où tout souffle n'est qu'emportement et où tout mouvement n'est que chevauchement d'emportement; où tout est nécessairement EXTERIEUR.

 

Rupture

"Trafic"

Les fureurs d'un homme qui s'abat se condensent en un point précis (qu'il est aisé de confondre avec le centre de gravité de la masse corporelle), puis explosent en vagues successives ou muscles et tendons se désaccordent et se brisent.

Le corps ne pouvant plus se soutenir, s'écroule, secoué quelques temps encore des derniers clapotis d'humeurs malheureuses qui rebondissent contre les parois intestinales, s'affaiblissant à chaque impact jusqu'à se cristalliser en grumeaux inertes d'une blancheur suspecte.

Alors l'homme se retrouve abandonné et vide.

On le dit mort.

Et quiconque s'approchera de sa dépouille refusera de l'écouter.

 

Deuxième Epoque

"Jambe de bois dans un champ de roses"

Je dis qu'un mort peut encore crier.

Qu'il faut lui percer la gorge d'une blessure diagonale nette et profonde, afin que toutes ses fureurs s'échappent de lui et se déversent une fois pour toutes dans l’atmosphère. 

Je dis que cette opération doit être effectuée avec la plus grande application. Que l'opérant doit avoir gravé sur ses joues les marques bleues de l'aplomb et de la légèreté.

Je dis que toutes mauvaises entailles disperseraient des cris déchirés, dont les palpitements brutaux feraient de nous des insomniaques craintifs et résignés.

Je dis qu'on est ici très loin de toutes idées de religion, d'extase, de communion.

Je dis qu'il s'agit une fois de plus des "nerfs" et de leurs sales besognes de repliement et d'exilement.

Je dis qu'on ne peut sarcler un corps, ce qui rend caduc toute ascension.

Je dis que toute mort est une CROISSANCE.