Carnet de Bord # 1 Coloris Vitalis

 

Par Catherine Lefeuvre 

L'entrée clownesque ou la langue en piste de Gramblanc

 

 

Le projet de création de Coloris Vitalis qui associe une auteure dramatique et un clown blanc venant du théâtre, le clown Gramblanc de Jean Lambert-wild, est l’occasion de réinterroger cette forme théâtrale particulière et réjouissante qu’est l’entrée clownesque.

A bien des égards, dans la démarche, comme dans l’exercice d’écriture et d’interprétation, il s’agit de puiser dans cet univers populaire, riche et codifié, tout en proposant une approche plus théâtrale, centrée cette fois non pas sur la figure de l’Auguste, mais exclusivement sur le clown lui-même, premier du nom, c’est à dire le clown blanc.

 

 

 

L’entrée clownesque, ou « entrée en piste du clown », jusqu’à présent presque exclusivement réservée aux « Auguste » ou aux duos « clown blanc – auguste », est ici écrite pour le clown blanc, mettant ainsi en exergue les traits caractéristiques de ce personnage peu connu, oublié ou peu valorisé, et qui constituent les invariants de sa nature : un tempérament sérieux voir inquiet et grave, une élégance emprunte de poésie et de rêverie, un brin d’autorité et d’emportement et un rapport au monde chaotique et ironique.

 

 

L’entrée clownesque s’est forgée depuis le 18èmesiècle sur la transmission de personnages stéréotypés, de jeux de scène, d’arguments, de lazzi, de différentes techniques de comique qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Avec Coloris Vitalis, il s’agit d’approcher cet héritage en repositionnant d’abord et avant tout le texte et l’interprétation comme point de départ du travail de création de l’entrée clownesque. Il s’agit donc d’abord d’un travail d’écriture, centré sur le personnage du clown blanc avec une langue et un style qui déploient autant que possible une dramaturgie de sa nature, de son corps et de sa poésie. Quel sens donne-t-il au monde et à notre époque ? Qu’est-ce qui, dans sa difficulté à être et à vivre, peut nous aider à penser l’humain aujourd’hui ? Comment sa langue poétique et facétieuse nous questionne –t-elle sur ce que nous sommes et nous délivre-t-elle de nos autocensures ? 

 

« C’est un rai, un pet, un fait, à vouloir trop tirer sur la corde, un pet, à remettre toujours tout à demain, un pet, à lancer des « au diable la varice » et des «promis j’arrête» de pacotilles, un pet !

Je pète en ligne droite, je ne dévie jamais, malgré les courbes, et puis voilà, paf dans le mur, paf le Clown, paf, paf, paf. » 

Coloris Vitalis

« Ah mon ami, j’avoue que parfois, avec toutes ces actions bigarrées et guerrières, mes viscères virent au rouge sans prévenir.

Ça se diffuse comme une onde de chaleur, là, sous la robe.

Et sous mon teint blanc aussi, ça chauffe, ça chauffe comme un soleil d’été. » 

Coloris Vitalis

« Mon corps est déjà parti en mer, il  tangue et il danse, il danse, il danse !

Je mets les voiles.

Je pars pour rêver encore, pour mourir peut-être, pour vivre intensément et faire pipi dans le Pacifique. »

Un Clown à la mer

« Elle est comme ça, la mer, cruelle et sans état d’âme. 

Elle fait disparaître les  êtres et les choses.

Et on rêve ensuite à ces disparitions, comme si la mer était en nous. »

Un Clown à la mer

 

Dans cette démarche, le point de départ de l’entrée clownesque n’est plus d’aller puiser en premier lieu dans les lazzi, les ressorts comiques du jeu ou de l’improvisation, mais avant même le travail au plateau, d’inscrire dès l’origine dans la langue et la parole ce que l’art clownesque nous apprend : rire ou s’émouvoir de nos empêchements, de nos ratages, de nos erreurs, de nos chutes, de nos doutes, de nos angoisses, de nos rêves, de nos illusions.

 

 

Au plateau, le clown Gramblanc s’empare alors de cette partition langagière avec son énergie d’emporté et de poète pour faire corps avec cette langue. Ce clown blanc, parleur, dévoreur de mots, poète à l’œuvre, habite sa parole comme le prolongement de son propre corps, ils ne font plus qu’un. Et sa langue devient, comme au théâtre, le moteur de sa représentation.

 

 

Henri Miller disait du clown qu’il « est le poète en action ». Et c’est l’exacte définition, s’il en fallait une, du clown blanc de  l’entrée clownesque Coloris Vitalis: un poète que la langue porte à commettre des actions clownesques inédites.

Spectacle

Calenture n° 1 de l'Hypogée - Pour clown blanc et explosions de couleurs