PETITES PEAUX DE CONFITURE

Les pots de confiture abondent dans les placards de Jean Lambert-wild. Tellement plus de pots qu'il ne peut en avaler ! S'entassent les uns sur les autres des bocaux enfermant des recettes et des intentions aussi secrètes qu'incertaines. Sa mère les lui envoie, à intervalles réguliers et en nombre inversement proportionnel à son désir de confiture. Et si ce n'était pas seulement d'être nourri qu'il s'agissait ? Pourquoi ma mère se rappelle-t-elle à mon souvenir par le biais de ces purées qu'elle m'adresse ? 

Jean Lambert-wild s'est longtemps demandé comment venir à bout de cette abondance. Lorsqu'il a découvert que l'Usine C était autrefois une fabrique de confitures, une idée a germé dans son esprit.
Il a imaginé un clown vêtu d'une seconde peau qui double ses proportions. Sous cette membrane coulent des kilos de confitures aux différentes couleurs. Il est lourd de sucre, confit de fruits cuits. Et le visage masqué, il reste sans voix. Il tient un électrophone à bout de bras, sur lequel il pose des 78 tours desquels s'élève tantôt de la musique, tantôt la voix de Marcel Bozonnet qui raconte les pensées de ce fils, nourrit et nourrit sans cesse. À son bras, un panier tressé d'osier dans lequel il a caché des dizaines de pots miniatures qu'il se charge de faire goûter aux spectateurs, les inscrivant ainsi dans cette chaîne alimentaire materno-filiale.
Puis, le vent tourne. L'homme-bibendum est pris d'une transe, il se débat sous son manteau de sucre en gelée et en arrive à l'inéluctable conclusion : il lui faut rompre la membrane qui le sépare de l'extérieur et sous laquelle coule le sucre maternel. Il lui faut se faire hara-kiri, répandre hors de lui cette compote épaisse. Et s'étant entaillé le ventre, il se vide lentement, saturant l'air de l'odeur des fruits cuits à mesure que s'écoulent ses organes de marmelade.