Carnet de bord # 5 Yotaro au pays des Yôkais

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra 

 

Quand nous sommes arrivés au Japon pour débuter le travail, l’idée générale était de travailler sur ce monde étrange, mystérieux, drôle et totalement dépaysant des Yôkais. Le mot Yôkai est composé des kanjis 妖, « attirant », « ensorcelant » ou « calamité », et 怪, « apparition », « mystère », « méfiant ». 

Les Yôkais sont des créatures surnaturelles issues du folklore japonais. On pourrait les comparer à nos esprits, démons ou fantômes, à la différence que chez nous ces êtres-là n’ont pas de caractéristiques très précises. Au Japon, les Yôkais se déclinent par dizaines, si ce n’est pas centaines d’espèces différentes qui sont chacune décrites avec beaucoup de détail. L’autre différence importante est que les Yôkais font partie du patrimoine culturel de tous les Japonais. Dès le début des répétitions et des premières improvisations, nous avons remarqué à quel point les acteurs reconnaissaient les personnages à peine apparaissaient-ils sur scène. Une troisième différence est que ces créatures côtoient les humains en permanence dans leurs vies quotidiennes. Il existe par exemple un Yôkai qui adore ramasser les serviettes qui tombent sous la table.

Parmi les Yôkais les plus célèbres, citons :

Akaname :On le trouve dans les salles de bain crasseuses où, la nuit venue, il apparaît pour lécher la saleté. 

Ashiari yashiki : Il a la forme d’un pied gigantesque qui apparaît à travers le toit des maisons et demande qu’on le lave sous peine, si l’on ne se plie pas à son désir, d’être écrasé avec sa maison.

Hone-onna : Il a l’apparence d’une très belle femme qui s’offre aux hommes et en profite pour aspirer leurs forces vitales.

Kappa : Ce Yôkaiamphibien de petite taille qui adore les concombres et le sumo, a aussi la fâcheuse tendance à péter, à regarder sous le kimono des femmes, à kidnapper les enfants et s’il le peut à vous attirer dans l’eau pour vous noyer.

Azuki hakari :  On le reconnaît à son allure hirsute et aux bruits de ses geta. Il a pour étrange habitude de compter des féves de haricots séchées .

Noppera-bô : Il a la forme ordinaire d’un homme ou d’une femme, mais ce Yôkai farceur aime à effrayer les gens en dévoilant son visage qui n’a ni yeux, ni bouche, ni même de nez.

Buruburu : S'il vous arrived'avoir des frissons dans tout le corps ou encore de frémir de peur, c'est que ce Yôkai que l’on appelle aussi « l’esprit de la lacheté » vient de s’agripper au col de votre chemise.

La caractéristique principale de ces créatures est d’être hostile envers les humains. Ces derniers ont donc dû développer toute une série de stratégies pour les combattre. Dans le cas du Kappa, il y a deux façons de lutter : soit en le battant au sumo, soit en versant de l’eau de sa rivière d’origine dans une petite assiette qu’il porte sur sa tête, ce qui le conduit à vous être éternellement fidèle. Plus simplement, afin d’éloigner Akaname, le lécheur des baignoires, il suffit de garder sa salle de bain parfaitement propre.  Mais de manière générale, comme l’illustre un Shinnô emaki de l’époque Edo, la meilleure méthode consistent à les asphysier en pétant ! Dans cette jungle surnaturelle, il existe aussi des Yôkais qui n’ont pas conscience de leur condition. C’est le cas de Rokurokubi, qui peut être une femme ou un homme dont le cou s’allonge indéfiniment durant la nuit. Il a la fâcheuse tendance à dévorer parfois quelqu’un durant son sommeil ou, moins grave, à boire l’huile des lampes. Le matin venu, Rokurokubi se réveille en pensant qu’il a fait un mauvais rêve et se rend au bureau comme n’importe quel quidam.Les Yôkais peuvent aussi être des objets, on les appelle alors des Tsukumogami. La seule condition pour qu’ils prennent vie est que ces objets inanimés aient atteints leur centième anniversaire. Il n’est donc pas rare de voir un parapluie, une bouilloire ou un luth se comporter étrangement après avoir atteint cet âge vénérable.

La matière théâtrale offerte par l’univers des Yôkais est donc pratiquement infinie. Et elle permet d’inventer aussi nos propres créatures. Ainsi, nous avons imaginé Un Yôkai GO-DO qui ne fait qu’attendre où une peuplade d’esprit de papier dont l’existence était limitée à deux dimensions. Quoi de plus drôle que de demander aux acteurs de jouer en 2D, ce furent là des moments d’inextinguibles fous rires.

 

 

Spectacle

Yotaro vient de mourir. Il était gentil Yotaro, toujours prêt à rendre service. Certains lui trouvaient même un petit...