Une chanson de Roland - Texte de Marc Goldberg

 

Roland, héros fondateur

Roland est un héros fondateur du monde européen, à l'instar d'Ulysse ou Achille pour le monde hellénique. Comme eux, il a inspiré des générations d'artistes – Boiardo, l'Arioste, Lully, Vivaldi, Victor Hugo, Klaus Kinski… Comme eux, son destin a d'abord abreuvé la poésie épique et ces premiers monuments littéraires que sont L'Iliade ou L'Odyssée pour le grec, et La Chanson de Roland pour le français.

Pourtant, momifiée dans une langue absconse, claquemurée dans les manuels scolaires, parfois respectueusement déclamée pour les jeunes générations, La Chanson de Roland sent la naphtaline… C'est qu'à force de comparer les manuscrits, on en oublie l'esprit qui présidait aux chansons de geste, celui des jongleurs. Car, encore une fois comme les textes d'Homère, les épopées médiévales ont d'abord bien relevé de la culture populaire, de l'oralité, du spectacle.

 

 

Raviver la chanson de geste

Pour éviter qu'elle ne soit remisée parmi les vestiges archéologiques, il est grand temps de sortir La Chanson de Roland des bibliothèques médiévales, de convoquer à nouveau sa vitalité originelle. Avant d'être exhumée au XIXème siècle et présentée aux élèves sous la forme plus ou moins momifiée du plus ancien texte littéraire en français, l'histoire de Roland s'est élaborée et s'est chantée, de génération en génération, dans la culture orale et populaire du Moyen Âge.

La poésie n’est pas composée pour être lue au coin du feu, ou dans des manuels scolaires, mais pour brûler par sa profération et nous tenir en haleine jusqu’à son dernier vers. Aujourd’hui, qui mieux qu'un clown blanc pourrait renouer avec cette liberté, cette impertinence, cet humour et cette folie qui ont marqué les multiples récits consacrés au destin de Roland ? Le clown blanc de Jean Lambert-wild, Gramblanc, avec lequel il explore depuis des années les potentialités du geste et de la parole, se chargera ainsi de raviver et incarner à sa façon la parole vive des chansons de geste.

 

Une traduction nouvelle et une adaptation centrée sur la Bataille de Roncevaux

Il s'agit donc, comme c'était d'ailleurs toujours le cas au Moyen Âge, de proposer une chanson de Roland, une version nouvelle de ses aventures, portée ici par la poésie, l'élégance et la démesure d'un clown blanc. Cette adaptation propose une nouvelle traduction de la bataille de Roncevaux tiré de la célèbre Chanson de Roland du XI ème siècle. On y entend les laisses du texte original dans une nouvelle traduction, offrant une langue modernisée pourtant toujours fidèle aux cadences et à la poétique médiévales. Certains passages ont été écrit pour évoquer le quotidien de Turold ou raconter son voyage sur la lune pour trouver l’élixir de conscience qui calmera la folie de Roland (épisode inspiré du Roland Furieux de l’Arioste).

Cette version contemporaine ne s'interdira pas non plus de divaguer, d'interpoler, d'improviser à partir d'une matière ancienne charriée, renouvelée, détournée par les classiques. C'est là fidélité à la tradition de la chanson de geste, et condition nécessaire pour retrouver la ductilité, la puissance de percussion, la vitalité du destin de Roland.

C'est là aussi une possibilité de proposer une version tout public pleine d'entrain, de drôlerie, et de poésie. Un spectacle d'une durée d’une heure environ centrée sur La bataille de Roncevaux enrichie d'épisodes supplémentaires.

 

De Turold à Gramblanc

Turold, personnage principal du spectacle, est inspiré par cet hypothétique auteur mentionné à la toute fin de La Chanson de Roland, dont on trouve également le nom sur la fresque de la Tapisserie de Bayeux, associé à un individu vêtu comme un jongleur mais tenant deux chevaux par la bride – une sorte d'écuyer poète, ou peut-être de chevalier histrion comme ce Taillefer plusieurs fois mentionné dans la littérature médiévale, lançant la bataille d'Hastings en chantant les aventures de Roland !

De ce Turold, de ce Taillefer, mais aussi de Thierry de La Spagna, écuyer de Roland assistant à sa mort, est ainsi né ce personnage à la fois proche et critique du célèbre paladin, témoin décalé comme peut l'être un Sancho Panza ou un vieil arlequin, parfois compréhensif, parfois horripiler par les excès de son maître

 

Ecuyers, troubadours, jongleurs et... clowns parleurs

Afin de faire résonner toute la vitalité du destin de Roland, ce spectacle fait appel à l’esthétique goguenarde et poétique du cirque et des troubadours pour renouer avec la liberté, l’impertinence et l’humour qui ont marqué les multiples récits consacrés à ce destin hors du commun. 

Reprenant ainsi volontairement la tradition des troubadours jongleurs qui donnaient voix aux chansons de geste, le clown de Jean Lambert-wild, Gramblanc, devient donc Turold, l’écuyer de Roland, pour porter ce récit, accompagné de sa ménagerie de cirque : l’incroyable ânesse du Cotentin, Chipie de de Brocéliande et les poules Suzon et Paulette. Sans aucune nostalgie pour un passé hors d'atteinte, ce spectacle renoue ainsi avec la force revigorante et l'inspiration joviale qui, du Moyen Age aux grands clowns, a caractérisé la haute culture populaire.